Meilleurs apprenti.es de France – cuisine : l’excellence professionnelle en tenue de travail

La finale nationale du concours des Meilleur.es Apprenti.es de France, organisée par la Société Nationale des Meilleurs Ouvriers de France, met en présence des candidat.es ayant déjà obtenu une médaille Or au niveau départemental et régional. Les épreuves en « cuisine froide » se déroulent sur une journée et devront départager plus d’une vingtaine d’apprenti.es de moins de 21 ans, recruté.es sur l’ensemble du territoire. Emblématique de l’excellence dans la voie professionnelle, le concours met en scène divers signes d’appartenance au corps professionnel. La tenue de travail est au cœur de cette appartenance et identité de métier.

du point de vue Sociologique

Être impeccable… les normes de l’excellence culinaire

En restauration, le vêtement de travail définit un cadre d’interaction, éclairé par des gestes, attitudes corporelles, intonations langagières particulières, qui orientent sur le mode d’échanges entre professionnel.le et client.e. Dans les activités de service, la sobriété de la tenue tend à effacer l’individu au profit du plat, qui devient l’objet principal. S’effacer en ne faisant apparaître aucun signe distinctif particulier : costume et cheveux courts pour les hommes, rasage parfait, chaussures cirées, ongles propres et coupés ; tailleur pour les femmes, pantalon ou jupe selon les établissements, chaussures le plus souvent de couleur noire, comme pour les hommes, avec talon léger, en aucun cas extravagant, qui autorise les nombreux déplacements. La barbe de deux jours ne peut être envisagée que pendant les périodes de vacances. Déférence du serveur vêtu de noir qui sait se faire oublier, contrôle du corps, maintien et droiture. Absence de bijoux en cuisine, ou bijoux très discrets en service. Le vêtement de travail révèle des devoirs être et attendus du métier, dicte des postures. Il oriente vers des compétences distinctes – alternance de noir et de blanc entre service et cuisine – et informe sur des hiérarchies professionnelles, jusqu’à la distinction suprême du col bleu blanc rouge porté par les cuisinier..es Meilleur.es Ouvrier.es de France.

du point de vue du Droit

Toque de cuisinier.e et règles d’hygiène

Les exigences juridiques en matière de vêtements en cuisine reposent sur la nécessité de protéger le consommateur. En effet, le/la travailleur/euse est, dans l’exécution de ses tâches, une source possible de contamination des denrées. Les règles européennes lui imposent de respecter un niveau élevé de propreté personnelle et de porter des tenues adaptées. En France, le Guide de Bonnes Pratiques d’Hygiène de la Restauration souligne que le personnel en contact avec les aliments peut être en mauvais état de santé, porteur asymptomatique de germes ou avoir une hygiène corporelle insuffisante. Il recommande une tenue de travail adéquate et propre, complète et renouvelée, réservée aux périodes de travail. Cette tenue doit être correctement portée et couvrante.Lors d’un concours, les participant.es, placé.es sous le regard immédiat de leurs juges, cherchent à se conformer le plus parfaitement possible à la norme. Leur vêtement de travail est irréprochable. Son port se justifie en ce qu’il met les aliments à l’abri du corps de celui ou de celle qui les cuisine. Ainsi, la coiffe, qui peut être une toque, vêtement de travail emblématique en cuisine, empêche de se passer les mains dans les cheveux, évite leur chute dans les aliments, absorbe la transpiration. Dans les activités de service en salle, c’est le contact avec la clientèle qui dicte contraintes et obligations de tenue. Cependant, le droit garantit à l’individu une sphère d’autodétermination, de liberté, la protection de sa dignité. Le licenciement d’un chef de rang, motivé par le port de boucles d’oreille par un homme, a ainsi été jugé discriminatoire et annulé. Les textes du Code du travail condamnant la discrimination interdisent à un employeur de tenir compte du sexe. De l’apparence physique aussi. Dans cette affaire, les juges ont considéré que l’apparence physique rapportée au sexe ne pouvait valablement motiver le licenciement (Soc. 11 janv. 2012, n° 10-28.213).

du point de vue Photographique

Dans sa bulle

Cette session de prises de vue est la première du projet et j’ai donc bien en tête l’axe choisi autour du vêtement et ce qu’il révèle du travail. Mais il me faut également saisir un lieu, un espace, un contexte, celui d’un concours d’apprenti.es cuisinier.es à l’occasion duquel on vise l’excellence. Celle-ci se manifeste partout, dans l’attention qui se lit sur les visages, dans la précision des gestes, dans le port de la tenue aussi. Le moment fait écho aux portraits d’August Sanders. Proposer de prendre la pose, sans diriger ni dans l’attitude, ni dans le costume, rejouer une scène, tenir un objet en main. Les épreuves de cuisine sont terminées, mais tous et toutes proposent une posture semblable, très ancrée, presque militaire. Bien droit.es, mains dans le dos, tablier immaculé revêtu pour la prise de vue, ils/elles ajustent leur toque (gardée sur la tête ou remise pour la photo). Même à l’extérieur du lieu de concours, un apprenti sorti pour prendre l’air adoptera cette pose. Pourtant, il est physiquement en dehors du concours. Il a gardé ses sabots, sa toque, son tablier, son torchon… Il est encore mentalement dans le concours, dans le travail, dans sa tenue de cuisinier. Ce portrait pris dans la rue intrigue en raison du décalage entre le sujet photographié et le « décor ». Sous l’œil du photographe, ce jeune cuisinier ignore que là, dans la rue, il paraît déguisé. C’est que, dans son univers, dans sa tête, dans sa bulle, celle dessinée peut-être par sa tenue de travail, tout est cuisine.

du point de vue des Coulisses

Choisir les images : un accord de goûts ?

Parmi la quarantaine de clichés photographiques proposés, six ont été retenus pour l’exposition. Sans concertation préalable entre sociologue et photographe, la sélection des photographies faite par chacun.e est très proche, les choix concordent. Comment expliquer cette si forte proximité des points de vue ?En amont des prises de vue, des échanges ont eu lieu autour de la recherche, de son objet et de sa problématique. Le photographe s’en est emparé, à partir de ses interprétations et regard. Pour autant, ces échanges n’expliquent pas totalement l’important rapprochement dans les sélections opérées. À partir d’éléments divers mis en association, l’image réveille le sens que l’on attribue à des scènes ou expériences vécues, l’effet de déjà vu associé à des personnages et des environnements. On peut postuler que la forte concordance des images sélectionnées tient à leur charge informative, construite à partir de connaissances, représentations et référents communs sur le milieu professionnel de la cuisine. L’image capte des gestes, corps en mouvements, savoir-faire, collectifs de travail, émotions et signes d’engagement dans l’activité, des normes professionnelles, des exigences et obligations. Associés au vêtement, ces éléments donnent les clés d’une situation de travail et semblent faire consensus sur ce qu’il convient de montrer. Pour autant, l’accord entre photographe et sociologue sur les choix opérés se construit aussi sur un jeu essentiel entre le message porté et les attentes esthétiques de la photographie.