« L’agnotologie est un champ d’étude complémentaire à celui de la dialectologie. En effet, comment étudier ce qui est dans notre contexte (le gaga) peu défini, donc partiellement ignoré ? « […] il est impossible de compter sur une description complète de chacune des variétés. » (Poirier, 1995). L’étude de l’agnotologie concernant le regiolecte stéphanois soulève des problématiques telles que la disparition de ressources textuelles ou l’absence récente de recensement; le dernier effectué par Wipfler (2019). Pourquoi ces régionalismes sont-ils laissés de côté ? Comment expliquer l’exploitation mince des archives et quelles sont-elles ? Jusqu’où s’étend l’ignorance sur le gaga ? Notre sujet nous permet de rencontrer une seconde discipline, celle des sciences de l’éducation. L’agnotologie touche intrinsèque ment les questions liées à l’école, celles du choix des savoirs à transmettre et de la création d’ignorance (Pons, 2024). Ainsi, l’étude des régionalismes du gaga permettrait-il de créer des leviers pédagogiques palliant des zones d’ignorance phonologiques, orthographiques, lexicales, ou même culturels et historiques ? C’est au regard de la double dimension éducative et sociolinguistique que nous souhaitons traiter la question de l’agnotologie. »
« Si la recherche en arts vise à l’analyse des manifestations et des enjeux des productions artistiques, les objets de l’art résistent à une connaissance objective et unanime. Leur dimension poétique ne permet pas de les appréhender au seul prisme d’une approche rationalisante. Ainsi l’esthétique et les sciences de l’art, pour espérer cerner leurs objets, doivent embrasser la part d’ignorance qu’ils comportent nécessairement. Les œuvres d’art entretiennent elles-mêmes un rapport ambiguë à la connaissance : leur vocation n’est pas forcément de produire sur le monde des connaissances vraies, et leur capacité à le faire est débattue dès les premiers écrits théoriques sur l’art. La création artistique investit nos endroits d’ignorance et de doute pour en déployer les possibles. Baldacchino (2018), en articulant des préoccupations artistiques, pédagogiques et philosophiques, va jusqu’à émettre une théorie de « l’art comme désapprentissage ». De plus, la méthodologie de recherche-création qui caractérise la recherche en arts plastiques se définit, selon Giacco (2018) comme « une possibilité de créer des connaissances à partir d’une pratique artistique et de les diffuser selon des modes propres – qui peuvent ou pas s’inspirer de démarches scientifiques mais qui en aucun cas devraient y être soumis comme principe de validité. ». Ainsi l’art, en réinterrogeant sans cesse les connaissances tenues pour acquises – et donc en prenant toujours le postulat de l’ignorance – ouvrirait une diversité des possibilités de notre expérience du monde. »
« En sciences formelles, l’ignorance est perçue comme un territoire vierge à explorer et conquérir. Cependant, la recherche scientifique produit en continu de l’ignorance : à chaque nouvelle avancée, un nouveau champ de possibilités encore inconnues est mis à jour (Wehling, 2021). Le scientifique doit remettre en question cette vision antagonistique pour se familiariser et apprivoiser l’ignorance omniprésente dans son travail afin que la confiance affaiblie du public dans les sciences “dures” ne soit pas instrumentalisée. »
« L’ignorance constitue un défi fondamental pour l’apprentissage automatique (Intelligence Artificielle), notamment face aux données manquantes. Tandis que les algorithmes visent à découvrir des motifs sous-jacents dans les données, leur efficacité reste tributaire de la qualité et de la complétude des données disponibles. Dans nos recherches sur l’imputation de données dans les graphes (Serrano et al., 2024), nous explorons la façon dont l’absence d’information – une forme d’ignorance structurelle – affecte la performance des modèles prédictifs. Notre étude des différents mécanismes générant des données incomplètes (Schafer and Graham, 2002) révèle une limite épistémique cruciale : sans connaissance préalable du processus ayant conduit à cette ignorance, une reconstruction fiable devient potentiellement impossible. Cette frontière entre la vérité terrain et l’absence de savoir illustre parfaitement comment la qualification et la quantification de l’ignorance peut elle-même devenir objet de science, créant ainsi un pont entre l’agnotologie et l’apprentissage automatique. »